jeudi 15 décembre 2016

Mycologie II: activités plus avancées

Dans le précédent billet, nous avons vu comment je vous proposais d'aborder l'étude des champignons avec les enfants. Les activités proposées dans ce premier billet se présentent sans problème dès le 6-9 ans.
Je vous propose ici une activité et une réflexion un peu plus avancées, basées sur ce que nous avons fait récemment avec Pauline, qui s'adresseront sans doute plus à des 9-12 ans, mais je les imagine possible avec des enfants de 8 ans qui aiment la biologie et ont déjà des notions de classification.

Pour rappel, Pauline avait eu l'occasion de voir tout ce que j'ai expliqué dans le premier billet lors de ses 2 dernières années passées à l'école.
Comme elle aime particulièrement les champignons, l'année dernière, en IEF, nous avions fait plusieurs sorties (J'avais d'ailleurs publié un billet sur l'une de nos sorties, mémorables pour la variétés d'amanites que nous avions trouvées...) et ça avait été l'occasion de rappeler le vocabulaire.
Puis, fin juin, nous avions visité le musée des champignons de Saumur et ce mois-ci, à Lyon, elle a eu l'occasion de re-travailler sur leur physiologie et leur croissance lors d'un atelier à la maison de l'environnement!

rappel de la physiologie à la maison de l'environnement


Un dimanche de novembre, le temps était peu engageant chez nous, mais nous avions envie de bouger et de sortir dans la nature. Nous ne sommes pas allés bien loin (au parc de Parilly) mais nous avons rassasié nos envies de marche et de cueillette de champignons.

Que pouvions-nous bien faire de  nouveau avec ces champignons?
Comme il n'était pas question de recommencer un énième fois la physiologie du champignon, j'ai proposé à Pauline un petit travail de naturaliste.
J'ai commencé par déposer tous les champignons sur la table.




J'ai alors donné cette consigne: "Observe bien ces champignons et regroupe ceux qui te paraissent appartenir à la même espèce ou à la même famille."
Ce travail d'observation minutieuse pour arriver à un tri est essentiel pour la notion de classification sur laquelle je reviendrai bientôt. Le fait que la physiologie de base du champignon soit bien connue permet de pouvoir se concentrer sur les détails et de mieux percevoir les différences.

En effet, déterminer l'espèce d'un champignon demande une quantité d'observations: la taille, la forme, la couleur, l'aspect et le toucher du chapeau, la disposition, l'insertion et la couleur des lamelles, la forme, la couleur et la texture du pied, de la texture et de la couleur de la chair et enfin l'odeur. Tout cela sans parler, pour le mycologue un peu spécialiste, du goût et de la forme et de la couleur des spores!

Pauline a donc commencé par sélectionner un champignon qu'elle a examiné sous toutes les coutures, utilisant la loupe pour mieux voir les détails, testant également le toucher et la texture de chaque partie. L'une de ses explorations a permis d'amener la notion nouvelle de "cuticule" pour définir l'espèce de peau sur le dessus du chapeau.



Pauline touche longuement la texture particulière de ce chapeau

La cuticule se décolle facilement laissant voir la chair du chapeau d'une autre couleur

En l'observant palper longuement son champignon et l'observer "avec les mains" autant qu'avec les yeux, je me demandais son observation aurait été la même sans ses années de formation sensorielle en 3-6 ans...

Une fois le 1er champignon exploré, elle en choisit un qui lui paraît proche. Là encore, exploration sous toutes les coutures. Pauline n'arrive pas vraiment à dire si les deux spécimens appartiennent à la même espèce.
C'est là que j'interviens en lui proposant d'observer attentivement les lamelles et surtout leur insertion sur le pied: les lamelles arrivent-elles de la même manière au niveau du pied dans les 2 spécimens?
L'observation met en évidence 2 insertions différentes.


Sur le 1er spécimen (à droite sur la photo), les lamelles semblent descendre sur le pied alors qu'on voit nettement que sur le 2ème spécimen, il y a une démarcation entre les lamelles et le pied. Je lui montre alors dans un guide les pages consacrées aux formes et à l'insertion des lamelles. Celles du premier champignons sont appelée "décurrentes", celles du deuxième, "émarginées"


J'attire alors son attention sur le pied des 2 champignons. Pour le premier, la couleur varie peu entre les lamelles et le pied et ce dernier est veiné de longues fibres. C'est donc un pied fibreux. Pour le second, la couleur bleu-violet se démarque nettement et la consistance est veloutée, pelucheuse.
Les 2 champignons appartiennent donc à deux espèces différentes.

En procédant ainsi, Pauline a passé en revue tous les champignons de notre cueillette. Au bout d'un moment, l'identification s'est faite plus rapide. L'œil sachant que regarder, que toucher, elle ne prenait plus les champignons au hasard en pensant déjà à quelle groupe le rattacher. Il ne restait alors plus qu'à vérifier si elle retrouvait bien tous les critères.

Un groupe de champignons de la même espèce

Un autre groupe.


Parfois les champignons étaient très jeunes, leur chapeau encore fermé. Nous avons coupé le champignon en deux. L'occasion de mieux voir le pied et d'observer que la chair de certains champignons change spectaculairement.

Le pied de cette lépiote prend une teinte rouge orangé dès qu'on le coupe
Lorsque tous les groupes (espèces ou parfois familles) ont été faits, nous avons tenté l'identification en utilisant un livre.
Ce premier travail de tri ayant été mené avec beaucoup de soin, Pauline y avait passé beaucoup de temps. Il fallait donc que je lui donne un outil pas trop complexe.
En tant qu'amatrice de champignons, je possède de nombreux guides: de l'historique guide d'Henri Romagnesi (aux éditions Bordas) au plus récent de Courtecuisse et Duheim dans l'excellente collection de référence Delachaux et Nestlé en passant par d'autres guides plus anecdotiques. Mais il en est un que j'apprécie particulièrement, c'est le guide photographique de Roger Philipps chez Solar.


Peut-être un peu moins académique que les 2 premiers, il présente l'avantage d'avoir un index visuel en début d'ouvrage qui permet d'orienter dans les grandes familles de champignons. Ensuite, si la variété que l'on a n'est pas celle de l'index, il suffit de naviguer dans les pages de la famille pour retrouver la bonne espèce.

Les basidiomycètes à lamelles

Autres basidiomycètes et ascomycètes

Et c'est ainsi qu'avec mon aide, notre cueillette a été identifiée.
Pour en garder une trace, nous l'avons photographiée puis préparé un petit document avec le nom des espèces sous chaque photo.

Enfin, pour terminer, nous avons rappelé la place du règne fungi dans l'arbre du vivant.

L'année dernière, nous avons commencé un matériel extraordinaire que Maria Montessori avait seulement imaginé et qui n'était même pas construit quand ma formatrice a été formée. Ce diagramme de Venn  en volume (sous forme de boîtes) était conçu sur la classification linéenne et ne contenait que le règne animal de l'époque.
Avec une amie, nous nous sommes attelées à comprendre la nouvelle classification et à concevoir le diagramme correspondait. Nous étions alors obligées d'y faire figurer tout le vivant, donc y compris la lignée verte des végétaux et les champignons.
Bien que je n'aie pas encore eu le temps de fabriquer la totalité du matériel (des boites puis des pochettes qui s'emboitent les unes dans les autres) Nous avons commencé à étudier le début de l'arbre du vivant avec Pauline et cela est déjà suffisant pour pouvoir comprendre un visualisation de l'arbre entier.

Les enfants demandent souvent pourquoi les champignons ne sont pas des plantes. En effet, comme ces dernières, ils sont vivants mais ne se déplacent pas. Ils poussent dans la terre. En plus, on les vend au même rayon que les autres végtétaux et on les appelle "légumes" en cuisine (un terme qui n'a rien de scientifique..) !

Une première réflexion peut déjà aiguiller les enfants s'ils ont suffisamment de d'exemples de champignons sous les yeux et qu'on leur a suffisamment parlé des végétaux: pas de chlorophylle en vue chez les champignons! Donc pas de photosynthèse non plus. Les champignons ont besoin d'autres être vivants pour se nourrir. (la notion d'hétérotrophe/autotrophie peut être présentée en 9-12, j'en parlerai un de ces jours).
Mais après tout, les champignons pourraient bien être des "végétaux sans chlorophylle", comme la classification linéenne l'indique. Les serpents sont bien des des tétrapodes (animaux à quatre pattes) qui ont perdu leur pattes dans l'évolution! Les champignons auraient pu donc être des végétaux qui ont perdu leur chlorophylle...

Un deuxième point extérieur peut venir nous mettre la puce à l'oreille: les végétaux se reproduisent en formant des fruits, issus de fleurs ou de cônes, le plus souvent. Ce que nous avons coutume d'appeler champignon ne produit ni fleur, ni fruits, mais seulement des spores (en fait, le "champignon" est l'organe reproducteur, le véritable champignon étant invisible, constitué par le mycélium).
Mais là encore, dans les végétaux, nous avons les fougères qui se reproduisent sans fleur, ni fruit, avec des spores!

La classification, qu'on nous présente souvent comme trop compliquée, va donc venir à notre secours.
La visualisation l'arbre montre que les champignons et les végétaux n'ont en commun que d'être des eucaryotes (organismes constitués de cellules contenant des noyaux) car leur lignée respective se sépare dès la toute première division dans le groupe des eucaryotes.

En vert, le groupe des végétaux au sens très large, les champignons en rouge et les animaux en violet. On voit bien que végétaux et champignons sont sur 2 lignées qui se sont séparées très tôt dans l'histoire de l'évolution et n'ont en commun que d'être des eucaryotes. Par contre, les animaux (eumétazoaires et même métazoaires) ne se séparent des champignons que tardivement. Ils ont en commun d'être des unicontes et des opisthocontes en plus d'être des eucaryotes. Nous avons donc plus de points commun avec un champignon qu'avec un arbre!


Par contre, il ne se séparent que tardivement de la branche des grands animaux (les métazoaires). La vision de l'arbre montre donc qu'un champignon est beaucoup plus proche d'un animal (et même d'un humain!) que d'un végétal. D'ailleurs les champignons contiennent une substance (la chitine) que l'on ne trouve jamais chez les végétaux mais seulement chez des animaux (insectes, crustacés, mollusques, notamment).
Bref après avoir observé une arbre phylogénétique ensemble, il devient bien clair que les champignons constituent un règne à part des végétaux!

Nous avons repris cela avec Pauline et l'avons synthétisé sur le cahier. Avec le document photos, c'est une bien jolie page de cahier qu'elle a écrite ce jour-là!



2 commentaires:

  1. Bonjour Marie-Hélène. C'est un magnifique travail d'observation, d'étude pour la formation de l'esprit que tu nous proposes. Je n'aurai pas osé prendre les champignons comme point de départ, hybrides entre animal et végétal. Je vais me faire plaisir et me lancer avec mes filles. Merci beaucoup. Isabelle

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  2. n'aurais pas, pardon...

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